On le connaît, ou plutôt on la connaît sous son nom de scène, Coccinelle. C’est l’histoire d’un lui devenu elle, l’un des premiers qui plus est en France. Pour se « trans »-former en femme, Coccinelle, de son (nouveau) nom Jacqueline Charlotte Dufresnoy, ira se faire opérer à Casablanca en 1958, époque à laquelle de telles procédures étaient encore interdites en France.
Née le 23 août 1931 à Paris 18e et décédée le 9 octobre 2006 à Marseille, Jacqueline Charlotte Dufresnoy était une artiste aux multiples casquettes, à la fois actrice, chanteuse et danseuse. Ce fut aussi l’une des premières trans connues du grand public en France. Retour sur sa vie et son parcours.
Qui était Jacqueline Charlotte Dufresnoy, alias « Coccinelle » ?
Jacqueline Charlotte Dufresnoy est née et a grandi à Paris… en tant que garçon, une condition qui ne lui convenait pas, c’est le moins que l’on puisse dire. Au cours de son enfance et de son adolescence, celle (ou celui) qui se fera appeler plus tard « Coccinelle » (surnom que lui a valu la robe rouge à pois noirs qu’elle a porté lors d’une soirée à ses premières heures) avait un fort sentiment d’identité féminine.
Jacqueline canalise son amour de la mode et du spectacle pour en faire une carrière. Ses débuts sur scène, elle les fera en tant que showgirl en 1953 à Madame Arthur, célèbre cabaret parisien. Très vite, Coccinelle devient une actrice bien connue au Carrousel de Paris, un music-hall très populaire qui a accueilli de nombreux artistes transgenres. En 1958, Jacqueline Charlotte Dufresnoy décide de subir une opération chirurgicale pour affirmer son genre dans une clinique de Casablanca, au Maroc, à une époque où il était illégal en France de porter des vêtements ne correspondant pas au sexe assigné à la naissance.
Coccinelle, icône du cabaret et militante
A son retour en France après son opération à Casablanca, Coccinelle ne manquera pas d’attirer l’attention du public, mettant en lumière l’absence de droits des personnes transgenres non seulement dans son pays d’origine, mais aussi à l’échelle internationale. Jacqueline reprend sa carrière, jouant dans un spectacle de cabaret qui a fait le tour du monde, et visitant des salles en Europe et en Amérique du Sud. Ce spectacle puisera son succès dans son inspiration des symboles sexuels les plus en vue de l’époque, au premier rang desquels Marilyn Monroe.
Coccinelle commence également à jouer la comédie et apparaît dans des films tels que « Europa Di Notte » en 1959 et « Los Viciosos » en 1962. Sur un plan plus personnel, Jacqueline Charlotte Dufresnoy épouse le journaliste sportif Francis Bonnet en 1960, lors d’une cérémonie de mariage catholique. Fait marquant : entré dans l’histoire juridique et religieuse, leur mariage donnera aux personnes transgenres le droit de se marier en France. Mais pour que la cérémonie puisse avoir lieu, Coccinelle devait être rebaptisée Jacqueline, ce qu’elle n’a pas manqué de faire.
Le couple Dufresnoy – Bonnet ne durera que quelques années. Après la séparation du couple, Coccinelle se mariera à deux reprises. Son dernier mariage en date sera avec un homme transgenre, l’activiste Thierry Wilson. Sur un tout autre registre, Jacqueline Charlotte Dufresnoy a fondé l’organisation « Devenir Femme », pour soutenir les personnes transgenres qui cherchent à obtenir un traitement d’affirmation du genre. Elle a également participé à l’organisation du Centre d’aide, de recherche et d’information sur la transsexualité et l’identité de genre. En 1987, Dufresnoy a publié une autobiographie sur son parcours de transition et sa carrière en tant que « Coccinelle » au fil des années.
Coccinelle, contre vents et marées
Tout n’aura pas été facile pour Coccinelle. En tant que l’une des premières personnes transgenres assumées en France, qui plus est s’affichant sur scène sans complexe, le parcours de Jacqueline Charlotte Dufresnoy sera naturellement semé d’embûches.
Mais les choses ont bien évolué, après ses débuts timides chez Madame Arthur, à tout juste 18 ans ! Suite à des débuts hésitants en Tahitienne au célèbre cabaret de la rue des Martyrs, l’artiste trouve rapidement un style et un répertoire novateurs, malgré la surveillance de la brigade des mœurs. Bien que la loi tolère les transformistes (qui se déguisent) dans ces établissements, elle n’autorise pas les travestis (en vêtements de femme). Quoi qu’il en soit, Coccinelle trouve des moyens de contourner les règles pour briller. Son élégance la mène au très chic Carrousel, rue du Colisée, où le Tout-Paris se presse. C’est le « début de la période la plus faste de ma vie », écrit-elle.
Grâce à la persévérance des travestis, la loi finit par s’assouplir : sur scène, tout devient désormais permis. Coccinelle se distingue par son audace et ses performances en micro-maillot, acclamées par le public. Elle ose défier les conventions de l’époque, en portant du rouge néon Lancôme et des fourrures, de jour comme de nuit. Dans un documentaire de Sébastien Lifshitz, Bambi, une amie proche, témoigne : en 1952, dans la troupe du Carrousel, « il y a Coccinelle. C’est une petite Parisienne extraordinaire, elle est habillée complètement en femme, on parle même d’elle au féminin. Tout ce qui était du domaine du rêve est alors devenu réalisable ».
Cependant, la Jacqueline Charlotte Dufresnoy surveille toujours ses moindres faits et gestes. « Non seulement je bravais tous les préjugés de l’époque, mais je le faisais d’une façon spectaculaire. C’était ça surtout qu’ils ne digéraient pas. […] Cela ne m’empêchait pas de dormir », confie-t-elle. Elle continue de transformer son corps à l’aide d’injections et de comprimés, et grâce au Dr Claoué, qui s’occupe de ses oreilles et de son nez. Plus tard, elle lui demande « des yeux à la Loren », se rapprochant ainsi de son autre idole, Brigitte Bardot. Sa simple présence crée des émeutes, et elle s’amuse à provoquer des réactions, qu’elles soient admiratives ou choquées. « Que m’importait, du moment qu’on parlait de moi. »
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