Valéry Giscard d’Estaing : interview dans le cadre du salon Histoire de Lire 2018

Introduction de François de Mazières, maire de Versailles

François de Mazières : Monsieur le Président de la République, nous sommes très honorés de vous accueillir aujourd’hui pour la 11e édition de “Histoire de lire”. Vous allez pouvoir échanger bien sûr avec Eric Roussel, qui a écrit cet ouvrage, que je vous conseille à tous de lire, qui est absolument passionnant, car à travers cet ouvrage c’est l’histoire, aussi, de notre pays. Je laisse la parole maintenant à Etienne De Montety, l’organisateur d’histoire de lire.

Valéry Giscard d'Estaing histoire de lire

Éclairage sur la biographie de Valéry Giscard d’Estaing par le principal intéressé

Etienne De Montety : Je vais rapidement lancer cette réunion qui est très insolite. Des biographes vous en connaissez tous. Il y en a énormément dans les salons de la mairie, et de la préfecture, des gens qui ont consacré leur livre à Marie-Antoinette ou à Vercingétorix. Malheureusement, le sujet de leur biographie, leur sujet d’étude n’est pas là pour commenter leur travail, et d’une certaine manière établir un dialogue entre eux et leur biographe : l’écrivain qui leur a consacré ce travail. Nous avons la chance, Monsieur le Président, merci de votre présence à Versailles, qui nous permet d’avoir la chance à l’occasion de la biographie que vous consacre Eric Roussel, de vous avoir parmi nous. Pour  non pas commenter cette biographie, ce serait un petit peu court, mais réfléchir à ce qui a été votre parcours, qui est retracé par Eric Roussel. Nous serons très contents que vous puissiez apporter un éclairage supplémentaire, peut être un commentaire particulier. Je vais essayer d’établir quelque chose d’insolite finalement, c’est un dialogue entre vous Monsieur le Président, et puis votre biographe. Eric Roussel, la première question peut être que tout le monde se la pose, c’est comment est née cette idée d’un travail sur vous, je pense que vous avez déjà des sollicitations de la part des uns et des autres … Comment s’est établi ce contact et ce travail sur votre vie, et puis évidemment votre action politique ?

Valéry Giscard d’Estaing : Je salue le maire de Versailles, parce que j’aime beaucoup cette ville, je salue son maire qui est en même temps un de mes collègues, du point de vue de sa carrière professionnelle. Et il y a dans le monde deux palais, le château de Versailles et la Cité Interdite de Pékin. Ce sont les deux seuls palais du monde qui aient cette dimension, cette évocation, cette puissance. Et chaque fois que je vais à Pékin je pense à Versailles, et chaque fois que je suis à Versailles je me souviens de Pékin. Alors la question, c’est de savoir comment ce livre est né …

Etienne De Montety : la genèse et l’envie que vous avez eu qu’un biographe comme Eric …

Valéry Giscard d’Estaing : Il faut se tourner vers monsieur Roussel, parce que je n’y suis pour rien.

Etienne De Montety : mais vous avez peut-être eu un sentiment au moment de la demande d’Eric Roussel.

Mr Giscard d’Estaing nous éclaire sur la réforme des archives présidentielles

Valéry Giscard d’Estaing : c’est une biographie … Il a lancé son projet. Je lui ai dit que je ne participerai pas, que je ne vais pas écrire sur moi, soit pour faire mon éloge, soit pour  accepter les critiques … je n’écrirais pas, mais je lui donnerai toutes les sources de renseignements et d’informations disponibles. Alors en particulier, lorsque j’étais président de la République, j’avais fait faire une réforme sur les archives présidentielles. Jusqu’à cette époque, c’est-à-dire les années 70, les archives présidentielles appartenaient au président lui-même, ou à ses héritiers. Et c’est pour ça qu’on retrouvait chez l’antiquaire dans des ventes, des lettres de Pompidou, du général De Gaulle, de Poincaré, etc. Ça m’avait choqué, j’ai pensé qu’il fallait faire en sorte que les papiers présidentiels et documents présidentiels fassent partie du patrimoine national. On a donc fait voter une loi, je crois que c’est 76 ou 77. C’était ma collaboratrice chargée des documents, qui était une chartiste bien entendu. On fait voter cette loi, et depuis elle est plus ou moins bien appliquée. Elle a été très bien appliquée de mon temps. Vous avez vu tous les documents, et ça représente à l’heure actuelle je crois 40 caisses de documents, donc c’est une occupation à temps plein pour un biographe. Mais la grande difficulté de ce point de vue, c’est que si on conserve les documents et notes,  les petites notes qu’on vous donne avant que vous receviez quelqu’un ou avant que vous teniez une réunion… Les gens ne veulent pas que le papier subsiste, et ils cherchent à le faire disparaître pour le garder pour eux, et ainsi de suite. Donc la conservation des archives comporte deux aspects : garder les archives, mais faire en sorte que les archives elle-même survivent. Et c’est ce qui a alimenté votre travail.

Eric Roussel : oui je vous remercie de ce que vous avez bien voulu dire de ce projet. Ce que je voudrais souligner, c’est que vous avez eu la grande élégance de ne demander aucun droit de regard sur cette biographie qui n’est pas du tout comme je l’ai vu parfois écrite, une biographie autorisée. Ce n’est pas du tout une biographie autorisée, c’est encore moins une biographie officielle. C’est une biographie à laquelle le Président Giscard D’Estaing -comme il l’a dit- a bien voulu apporter son témoignage. Il m’a reçu à peu près une quinzaine de fois pour des entretiens très approfondis sur différentes phases de son itinéraire. Il a ouvert également ses archives, mais cela dit il m’a laissé entièrement libre dans mon travail. Je crois que c’est quelque chose qui méritait d’être souligné, parce que c’est assez exceptionnel, et c’est peut-être ce qui fait la singularité de ce livre, et ça ne s’apparente pas, encore moins, à un livre qui s’appelle “le président ne devrais pas dire ça”. Je suis reconnaissant de la façon dont vous avez bien voulu accompagner ce projet.

Etienne De Montety : peut-être qu’on va rentrer dans le vif du sujet, si vous me passez l’expression, parce qu’il y a, dans le livre d’Eric Roussel, des éléments très intéressants et très importants sur votre ascension politique, le début de votre carrière politique. Et quelque chose que je ne connaissais pas, c’est votre carrière politique au regard de celle du Général De Gaulle, qui était évidemment le chef de l’État à l’époque, vous en étiez le ministre des finances. Et vous vous êtes retrouvé par le jeu d’un certain nombre de circonstances, finalement, comme un héritier naturel d’une succession qui n’a pas été immédiate, mais qui a eu lieu quelques années après sa mort. Et j’aimerais si vous voulez, parce que je crois que c’est un apport important du livre dont nous parlons, que ce lien et cette estime qui a pu naître entre ce personnage historique du Général de Gaulle et un de ses cadets qui, je crois, il estimait, et qui s’appelle Valéry Giscard D’Estaing.

Les liens entre le Général De Gaulle et Valéry Giscard d’Estaing

Valéry Giscard d’Estaing : Il faudrait invoquer le souvenir et la mémoire du Général De Gaulle. C’est lui pour qui pourrait en parler de la façon la plus complète. Je l’ai vu personnellement, j’ai essayé de faire des comptes, certainement en tête à tête plus de 600 fois. Pourquoi ? Parce que quand j’étais ministre je le voyais deux fois par semaine : une semaine au conseil des ministres, et une semaine il me recevait toutes les semaines une heure, pour avoir des nouvelles de l’économie française, et de la manière dont les choses se passaient. D’ailleurs, c’étaient des entretiens curieux, parce que l’économie ne l’intéressait pas beaucoup en fait, la situation financière encore moins. Mais, c’était un homme de conscience professionnelle, et il estimait que le Président de la République devait être au courant de la situation du pays. Donc je l’ai vu je vous le répète plus de 600 fois dans des calculs simplistes. C’était un homme -ça ne vous surprendra pas- extrêmement courtois. Quand on allait dans son bureau, l’Elysée, bureau qui est au centre du premier étage où il s’était installé, et je vous signale que je ne me suis jamais assis dans son fauteuil. Quand j’étais Président par la suite, je traversais ce bureau, mais j’estimais qu‘il n’était pas convenable de s’asseoir là où avait siégé De Gaulle. C’est un scrupule qu’aucun de mes successeurs n’a eu. Alors, le Général de Gaulle c’était un militaire, faut pas oublier ça, jusqu’à près de 60 ans, il était militaire, et très militaire. Il avait participé à un peu de la guerre de 14-18, ça avait mal tourné. Il avait été blessé légèrement en fait, mais fait prisonnier, donc il avait un mauvais souvenir de cette période. Et ensuite dans toute la période 1939, il avait compris que la guerre suivante se ferait en réalité à partir d’engins mécaniques, de véhicules. La guerre de 14-18, il y a ici des enfants et petits enfants de combattants de cette guerre, j’en fais partie moi-même. Mon père qui a été gravement blessé dans cette guerre de 14-18, il a été blessé à cheval. Les unités d’artillerie de l’armée française se déplaçaient tirées par des chevaux à l’époque. Alors le Général avait connu cette époque, avait été fait prisonnier. Ca l’avait beaucoup blessé, et il avait essayé de faire développer une pensée militaire moderne, c’est-à-dire une armée de métier ayant un matériel correspondant à la technique contemporaine. C’est-à-dire un matériel roulant, performant, il n’a jamais pu obtenir une réponse positive. Il était dans des positions de commandement, il était colonel, jusqu’en 1939 il était colonel. Il a écrit des livres qui doivent être dans une bibliothèque j’imagine, et des livres très brillants sur ce que devrait être la fonction militaire. Quand je le voyais, il me recevait d’abord il faisait une chose que beaucoup de gens ne font plus … Quand il recevait quelqu’un, qui que ce soit, et qu’on sortait de son bureau, il vous accompagnait jusqu’à la porte, ouvrait la porte, et la fermait derrière vous, quels que soient votre rang, votre fonction, votre importance. Et les entretiens avec lui se divisaient en deux parties : un compte rendu de la situation économique et financière de la France que je lui faisais, et ensuite une demi-heure de réflexion que De Gaulle faisait pour lui-même. Mais il aimait bien tester ses réflexions, ses vues sur ses auditeurs, et donc quand il recevait quelqu’un, il développait le thème qui était son thème du moment en politique intérieure ou en politique extérieure. C’est d’ailleurs ce que Peyrefitte – Peyrefitte a écrit un livre sur les entretiens de De Gaulle racontée avec beaucoup d’exactitude.

Etienne De Montety : est-ce que vous avez le sentiment d’avoir en face de vous quelqu’un qui vous observait comme un futur successeur ?

Valéry Giscard d’Estaing : alors je vais vous faire une réponse très précise : je n’en sais rien. Parce qu’il y avait du oui, mais c’était ambigu. Par exemple, madame De Gaulle a invité mon épouse à venir visiter l’appartement privé. Elle lui a montré les pièces, les chambres, le salon, etc. Qui était bien l’idée d’une certaine… possible destination. Et le Général de Gaulle à plusieurs reprises a employé une expression (je ne sais pas s’il est cité dans votre livre) où il dit “pour des hommes comme vous et moi”. Qu’est ce qu’il voulait dire exactement ? Des hommes qui ont les mêmes croyances, une origine familiale ou éventuellement la même fonction ?

Etienne De Montety : et vous-même, est-ce que vous vous souvenez du jour où vous vous êtes dit que cette succession était imaginable ? Vous étiez un tout jeune ministre, un tout jeune élu, et à un moment donné vous avez brigué dans les circonstances qu’on sait, à la mort du président Pompidou, la Présidence de la République. Est ce que cette idée vous était venue bien avant ?

Valéry Giscard d’Estaing : non non le poste qui me plaisait, en fait, n’était pas la présidence. C’était la maîtrise des finances publiques et de l’économie française. C’était ça qui m’intéressait, et j’ai eu la chance de pouvoir le faire pendant une dizaine d’années, où j’étais successivement ministre des finances, ministre des finances et de l’économie. Et donc où j’ai pu conduire l’évolution de l’économie française, ça me passionnait. Les résultats étaient  plutôt positifs, ce n’est pas à moi de les qualifier. Mais enfin c’était une époque où on a atteint l’équilibre budgétaire, on avait très peu d’endettement, et on a réussi quand même à libéraliser la totalité des prix en France. Donc cette gestion était importante et absorbante. Et donc je n’avais pas du tout l’idée de rechercher une autre fonction, c’est celle-là qui me convenait. Et comme je ne prévoyais pas la disparition du Président Pompidou, l’échéance présidentielle était très loin. Parce que le Président Pompidou donc a été élu en 69, il a disparu en 74, il n’avait fait que donc que les deux tiers de son mandat. Et il était décidé à se représenter, et tout indiquait qu’il serait réélu. Donc l’échéance présidentielle suivante était assez loin, c’était aux alentours de 10 ans. Il n’y avait pas lieu de s’en occuper ou de s’en préoccuper, donc je n’ai pas suivi un parcours visant la présidence de la république.

Eric Roussel :  moi je voudrais revenir sur le moment où vous avez accédé à la présidence de la république. Donc vous êtes élu en 1974 après la mort de Georges Pompidou, à la suite d’un climat disons un peu de guerre de succession à l’intérieur de la droite. Et quand vous êtes élu, vous avez l’image d’un homme de droite libérale, et enfin d’un homme se rattachant plutôt à la droite des indépendants. Or dès l’été 1974, vous allez mettre en œuvre un programme de grands changements, de grandes réformes qui n’avaient pas d’ailleurs beaucoup de précédent depuis la Libération. Ce sont essentiellement des réformes de société, la loi sur l’ivg, l’abaissement de la majorité à 18 ans, la réforme de la saisine du Conseil Constitutionnel, etc. Enfin il y a eu tout un train de mesures qui ont, au fond, surpris finalement une partie de votre électorat, bien que vous ayez annoncé ces réformes au cours de cette campagne. Et à partir de là, on a parlé d’une sorte d’énigme constituée par votre personne et par votre projet. Est-ce que vous pourriez revenir et essayer d’élucider ce point pour nos auditeurs ?

Les réformes qui ont marqué sa présidence

Valéry Giscard d’Estaing : La France était gouvernée par De Gaulle et les premiers ministres. Le Général de Gaulle était l’auteur, pas l’auteur direct, mais l’inspirateur de la constitution. La constitution qui existe toujours, mais qu’on n’applique plus de la même manière, était une constitution dans laquelle il y avait un chef d’état qui surveillait le parcours à long terme de la France, son évolution, ses difficultés .. Et puis il y avait, chargé la politique économique et sociale, un gouvernement, dirigé par un premier ministre, responsable devant le Parlement. C’est une situation assez différente de ce à quoi on a abouti dans la période contemporaine, où le pouvoir a été peu à peu glissé et saisi dans les mains présidentielles. Quand j’étais élu je connaissais cette situation bien entendu, et comme vous l’avez dit tout à l’heure, j’ai été élu par une partie à la fois moderne et libérale de la société française, et  qui ne s’attendait pas ou ne prévoyait pas beaucoup de réformes. Moi, je savais que la France avait besoin d’être réformée, et qu’elle avait un besoin historique. Ce n’est pas la réforme pour gagner l’élection, pour se faire bien voir, pour avoir un biographe talentueux (rires)… Non je sentais que la France en avait besoin et j’avais une formule que j’ai utilisé à l’époque, peut-être les plus anciens d’entre vous s’en souviendront : c’était “le changement dans la continuité”. C’est-à-dire qu’on gardait l’identité française, on n’oubliait pas l’histoire superbe et très riche de notre pays, mais on faisait les changements nécessaires pour être adapté à l’époque actuelle. Et on était en retard sur un certain nombre de points  : on était très en retard sur le statut des femmes, le problème de l’avortement d’une part, mais le statut des femmes en général. Elles ne pouvaient pas gérer leur patrimoine, elles avaient très peu accès aux facilités des banques, elles devaient rendre compte de toutes les opérations financières du ménage, et ainsi de suite. Les jeunes ne votaient pas jusqu’à 21 ans, étaient en dehors de la vie politique et sociale, et puis il y avait un groupe dont on ne parle plus à l’heure actuelle, qui me préoccupait beaucoup, c’était les personnes âgées. On appelait personnes âgées, parce que le vieillissement de la population s’était amplifié comme vous savez, je dirais les gens les hommes et femmes de +70 ans, qui étaient dans une situation de détresse profonde, qui avaient du mal à vivre, ou à survivre. Donc c’était des groupes qui posaient en fait des problèmes. Et je pensais qu’un Président de la République qui donne les impulsions, devait marquer fortement quelques directions, alors on a marqué la direction pour les femmes en annonçant un certain nombre de réformes, qui ont été un peu difficile à faire adopter d’ailleurs, parce que la majorité était réticente, et il a fallu l’aide de l’opposition pour faire adopter les principales mesures pour les femmes. J’ai fait voter tout de suite l’abaissement de l’âge légal de 21 à 18 ans, et la démagogie est telle qu’au parlement on a dit “non, 18 ans c’est encore insuffisant on devrait mettre 16 ans”, et on a baissé de 21 à 18. Et bien dans toutes les élections depuis, les majorités ont été faites ou défaites par des jeunes de 19 ans – 20 ans, et ainsi de suite. Et puis, j’ai voulu traiter le problème des personnes âgées et des handicapées. Alors c’est là que les commentateurs, je ne sais pas si vous le faites de votre livre, disent que je me suis écarté de la voie conservatrice et libérale… Pas du tout. J’ai traité ces problèmes à partir de mes convictions, et ma façon de faire. Alors pour les personnes âgées, c’est relativement simple, parce qu’on leur versait une allocation à partir d’un certain âge et pour un certain montant qui était manifestement trop faible. Et il y avait une grande partie de la population âgée française qui vivait très proche de la misère. On a rectifié ces chiffres, augmenté le niveau assez sensiblement, et vous remarquerez une chose très curieuse, on n’en parle plus jamais depuis. Donc on avait traité, à peu près de façon juste, le problème. Et puis l’année suivante qui était donc 75, on a voté la première loi, parce qu’il y en avait aucune sur les handicaps : handicap physique, et ainsi de suite. C’est une loi de juillet 75 dont personne ne parle beaucoup, mais qui a transformé malgré tout la situation des personnes handicapées dans une assez large mesure. Donc vous voyez, on peut parfaitement être historiquement dans une ligne continue par rapport à l’identité française et la culture française, etc, et en même temps traiter les problèmes contemporains. S’ajoute à ça la gestion de l’économie qui est évidemment une gestion contemporaine. Alors ça étonne un peu les commentateurs, parce que les journalistes de l’époque, vous avez dû  en trouver la trace dans vos travaux, ils étaient étonnés. Ils disaient “Comment quelqu’un qui a la réputation d’être conservateur fait-il des réformes sociales que personne n’avait faites avant lui ?”. Je les ai faites, parce qu’elles étaient nécessaires, et quand une chose est nécessaire vous la faites, à partir, naturellement, de la culture qui est la vôtre.

Etienne De Montety : alors il y a une mesure dont on n’a pas parlé, qui est peut-être passé inaperçue à l’époque, mais dont on reparle aujourd’hui. En 1976, vous prenez des dispositions sur ce qu’on a appelé “le regroupement familial”, ça a eu beaucoup d’incidents sur la société jusqu’à aujourd’hui. Peut-être qu’à l’époque, c’était quelque chose qui a été fait sans, peut-être, le retentissement ou les discussions qui ont pu par exemple accompagner le débat autour de l’ivg. Mais c’est aujourd’hui quelque chose qui laisse beaucoup de français perplexes, l’origine de cette mesure et puis les conséquences qui ont été les siennes, est-ce que vous vous souvenez de ce moment où cette décision a été prise, et est-ce que les conséquences c’est à dire le passage d’une immigration de travail à une immigration de peuplement, est-ce que tout ceci avait été envisagé ?

Valéry Giscard d’Estaing explique la réforme du regroupement familial telle qu’elle a été mise en place à l’époque

Valéry Giscard d’Estaing : alors ça tombe bien que vous me posiez cette question à Versailles. Parce que la collectivité, c’est-à-dire l’opinion en quelque sorte, et encore plus les commentateurs sont totalement dans l’inexactitude, et empoisonnent l’opinion publique d’une vision fausse. Quel était le problème ? La France avait au point de vue de l’accès de son territoire, elle avait choisi ce qu’on appelle “la citoyenneté du sol”,  c’est-à-dire qu’on devenait français si on était en France. C’était d’ailleurs relativement récent, parce qu’il faut savoir aussi que dans l’histoire française, c’est-à-dire l’histoire française c’est l’histoire la plus longue des sociétés mondiales. La France a eu une dynastie qui a duré à peu près neuf siècles, aucune dynastie chinoise n’a duré plus de trois siècles. Donc nous avons pratiquement connu l’histoire la plus longue du monde, et ça marque naturellement profondément les esprits. Et dans la culture française, contrairement à ce qu’on vous raconte parfois, le droit normal c’était le droit du sang. C’est-à-dire qu’on naîtrait français si ses parents, père ou mère étaient français. On a changé ce système dans les années 1880 à cause de la mobilisation, parce qu’on s’est aperçu que les immigrés de l’époque, c’est-à-dire des voisins en réalité, les deux grandes immigrations en france avant 1900, ca a été l’immigration italienne et l’immigration polonaise, donc des immigrations européennes. Les jeunes de ces familles ne faisaient pas de service militaire, il n’étaient pas mobilisables, et comme on était en train de préparer une mobilisation générale, on a changé la loi, et on a dit “on devient  français si on habite, si on a donc le droit du sol”. Ce qui est le cas actuel. Après la dernière guerre, donc 1945, il y a eu un mouvement d’immigration vers la France. Ce mouvement est venu uniquement de pays européens. Par exemple, il y a eu des populations très nombreuses venues du Portugal, toujours d’Italie, encore un peu d’Europe de l’Est comme la Pologne et le voisinage, et aucunement d’Afrique. Pour une raison simple d’ailleurs, c’est que  les états d’afrique avaient un statut politique ou administratif propre, et distinct du statut français. Donc dans les années, quand j’étais au début, quand j’étais président, en 76 à peu près, nous avions en France une population de travailleurs européens habitant la France, qui n’avait pas le droit de faire venir leur famille. Donc les portugais en particulier, et les autres (les espagnols et les polonais, etc) passaient des années entières avec leur famille dans leur pays d’origine, et ils ont dit “nous aimerions que nos familles puissent nous rejoindre”. On a fait en 1976 un décret sur ce sujet. Alors le texte disait que l’étranger pouvait faire venir son épouse et ses enfants de moins de 18 ans, à condition qu’il soit lui-même justifié d’une année de résidence en France en situation régulière. Deuxièmement, qu’il dispose de ressources stables suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Troisièmement, que les conditions de logement qu’il compte assurer à sa famille sont adaptées. Et enfin que la présence d’un ou des membres de la famille sur les trois territoires français ne constitue pas une menace pour l’ordre public. Et enfin, il y avait un contrôle médical afin que les mouvements de population ne risquent pas de mettre en danger la santé publique. Donc, vous voyez, c’est un texte modéré, puisqu’il fallait être résident en France, disposer de ressources stables, d’un logement assuré, d’avoir une famille en état sanitaire approprié en quelque sorte, sinon on refusait l’entrée. Ça c’est en 1976, et ça a bien fonctionné. Arrive 1981, la vague socialiste communiste, on abroge le décret, c’est-à-dire qu’on enlève toutes les conditions, et à partir de là, en effet, le regroupement familial s’est fait et se fait sans condition.

Etienne De Montety : Excusez-moi monsieur le Président, est-ce qu’il n’y avait pas une ambiguïté sur le mot “familiale”, considérant que tout le monde dans le monde n’a pas la même conception de la famille.

Valéry Giscard d’Estaing : oui là c’est la famille au sens européen et français du terme, c’est-à-dire : les parents et les enfants, et les enfants de moins de 18 ans. C’est- à-dire pères et mères et enfants de moins de 18 ans, c’est ce qu’on appelle la famille, et qui avait le droit de se regrouper en respectant les conditions que je vous ai donné. Le résultat, il n’y a pas eu un flot important, en fait dans les années immédiatement suivantes, c’est à dire 77-78. Les intéressés ont été heureux et satisfaits, parce qu’ils avaient pu refaire leur unité familiale, et puis arrive le changement politique en France, et à ce moment-là, le regroupement familial a pu être exploité par tout le monde. Est-ce que c’est clair, monsieur Roussel ?

Etienne De Montety :  il me semble que vous aviez …(Interruption).

Valéry Giscard d’Estaing : non, c’est une histoire invraisemblable, parce que si vous écoutez les médias, ou pseudo-médias, ou les réseaux de toutes sortes, ils m’accusent d’avoir ouvert les frontières.

Etienne De Montety : il y a quand même eu de votre part une envie de réformer la loi de 76 que le Conseil d’État vous a empêché de réformer.

Valéry Giscard d’Estaing : absolument !

Etienne De Montety : avant 81, il y avait déjà eu une volonté par les juges de contrevenir à la volonté politique.

Valéry Giscard d’Estaing : oui, il y avait un lobby qui existait, et qui est au pouvoir depuis … en tout cas pour être beaucoup plus libéral, mais au lieu d’assumer leur responsabilité, ce qu’ils pouvaient faire, ils ont voulu faire croire que c’était la décision d’origine. La décision d’origine était raisonnable, humaine, et ne s’accompagnait d’aucune conséquence négative.

Eric Roussel : voilà je pense que c’est assez clair …

Valéry Giscard d’Estaing : est-ce que vous avez une question supplémentaire sur ce point ?

Eric Roussel : je voudrais qu’on évoque votre façon, enfin l’exercice du pouvoir, on dit souvent, enfin c’est l’actualité, je ne vais pas vous entraîner sur ce terrain … mais que le pouvoir suprême isole. Je voudrais savoir comment est-ce que vous avez ressenti cette impression à partir de 1974, et d’autre part, c’est une question d’ailleurs qui est liée, comment vous avez conçu vos relations personnelles à la fois avec des dirigeants, et puis avec les français au fond ?

Un président qui séparait l’exercice du pouvoir du milieu familial

Valéry Giscard d’Estaing : c’est très curieux, les idées, les notions qui circulent, et dont beaucoup de gens, et parfois une large majorité croient qu’elles sont vraies. Quand vous êtes au pouvoir, on croit que vous n’avez aucun contact avec personne, et que vous êtes assis sur le Panthéon, je ne sais où, et que vous regardez l’univers. Non. Moi j’avais une famille, nous avions quatre enfants, ces quatre enfants et mon épouse bien sûr avaient participé à la campagne électorale. Il y avait même ma fille cadette qui figurait sur l’affiche. Ils faisaient des études. Ils étaient tous dans le circuit scolaire classique.  Et d’ailleurs les conditions de leurs études ont été très remarquables, parce que par exemple, notre fille cadette était dans un lycée, parce qu’elle faisait une étude spécialisée en vue de préparer l’école “maison alfort”, et pendant toute l’année ni ses professeurs, ni ses camarades n’ont fait aucune allusion au fait qu’elle était fille de Président de la République. Donc, il y avait un savoir vivre quand même très remarquable. Alors moi je rentrais dîner à la maison, c’était dans le 16e arrondissement, je ne dérangeais pas la circulation automobile. On rentrait dans une voiture, suivi d’une voiture pilote, au cas où il y aurait un pneu crevé, ou je ne sais quoi, etc… Sauf la veille des conseils du ministre où je dormais toujours à l’Elysée, parce que je ne voulais pas risquer d’être pris dans un embouteillage, ou la veille de réunions ou d’événements importants. Donc c’était à la fois l’Elysée… Nos enfants ne sont venus dormir à l’Elysée qu’une nuit en sept ans. Et c’était eux qui refusaient absolument, en disant “mais pas du tout, nous n’irons pas, nous restons chez nous”, mon épouse restait naturellement avec les enfants, à s’en occuper. Donc de ce côté là, il y avait un milieu familial, un lien, il y avait des repas, il y avait  des vacances, ainsi de suite. On n’était pas isolé, d’autre part, j’ai toujours eu beaucoup d’amis personnels, fidèles. La plupart, ou beaucoup d’entre eux, certains venaient des études, c’est-à-dire de l’école polytechnique, ou de l’inspection des finances. D’autres venaient de la guerre, c’est-à-dire qu’ils avaient été un peu dans la résistance avec moi ou un peu dans l’armée avec moi. Et ce groupe d’amis je le voyais beaucoup, c’était complètement naturel, et nos rapports n’avaient pas changé, c’était les mêmes. Donc, moi je ne ressentais pas le vide ou l’impossibilité de leur présence. Alors j’ai eu l’idée un jour, qu’est  de dire au fond, on devrait rencontrer les français chez eux, et j’ai eu cette idée (rire), il faut vous méfier des idées un peu rapides comme ça. J’ai eu cette idée avant de recevoir une délégation de journalistes à l’Elysée, je crois que c’est en janvier 75. Et je leur ai dit, mais nous allons prendre des repas chez les français pour écouter ce qu’ils disent, s’ils se plaignent, s’ils sont contents, s’ils veulent, etc. Aussitôt la presse s’est agitée, et a dit qu’est-ce que c’est cette histoire, mais au nom de quoi, dans quelle famille pour parler de quel sujet, etc. Et la plus grande partie la presse, excusez-moi, a harcelé les gens chez qui nous allions. C’est-à-dire que le lendemain… et ça m’a rappelé une histoire que De Gaulle m’avait raconté. De Gaulle avait fait à l’Elysée une réunion des chefs d’État africains de la zone d’influence française, parce qu’à l’époque il y avait une communauté franco-africaine. Ils avaient réussi pour une première manifestation, et il y avait eu un dîner à l’Elysée. Et De Gaulle m’a dit, quand ils sont sortis, les journalistes ils attendaient, et vous savez quelle est la première question qu’on leur a posé : qu’est-ce qui n’a pas marché ? C’est un état d’esprit… et là, après le déjeuner ou le dîner qui était sympathiques, un peu, bien sûr, intimidés pendant les dix premières minutes, et puis ça se relâche, c’était facile, sur lesquels, ou bien il n’y avait rien à dire, ou bien on peut en parler, etc… Ça a été présenté par la presse de façon négative, en fait. Et pourtant, c’était devenue une idée mondiale, le maître à penser chinois qui était Deng Xiaoping m’a dit : “mais vous allez prendre des repas chez des personnes, vous avez raison, je vais faire comme vous”… très bien, parfait… “Comment faites-vous ?” Je lui ai dis qu’il y a une personne qui s’occupe de la liste, elle reçoit l’invitation, qui trie l’invitation … “Est-ce qu’elle peut venir en Chine ?” J’ai dit oui bien sûr. Et donc ça a été un précédent mondial qui a très bien marché avec les personnes chez qui nous allions, en fait, mais qui a fait l’objet d’une espèce de présentations négatives dans beaucoup de médias.

Eric Roussel : pourriez-vous évoquer les relations personnelles et amicales, parce qu’elles l’ont été, que vous avez eu avec certains dirigeants et notamment avec Helmut Schmidt, ce qui a conditionné le progrès de l’union européenne.

L’amitié franco allemande entre Helmut Schmidt et Valery Giscard d’Estaing

Valéry Giscard d’Estaing : volontier, parce que, bon, j’avais participé avant, quand j’étais ministre, à des sommets qu’on appelait de différentes appellations.. et j’avais vu que dans ces sommets de chefs d’état, chefs de gouvernement, finalement les participants n’étaient pas très bien informés, et tenaient des propos plutôt flous. Bon, j’ai dit c’est quand même un mauvais système. Le résultat, c’est qu’on ne savait pas ce que les autres pensaient, notamment lorsqu’il y a eu les premiers chocs pétroliers qui remontent à 1971, on ne savait pas ce que pensaient les allemands, ce que pensaient les japonais. On ne savait pas, bon. Et quand on demandait des rapports, on nous donnait des rapports d’une trentaine de pages où il fallait essayer d’extraire une opinion précise. Alors je me suis dit qu’il faudrait essayer de créer les conditions du tête-à-tête, parce que dans le tête-à-tête les gens parlent. Ils acceptent de parler, enfin on y arrive en tout cas. Et ça a été la création de ce qu’on a appelé le G7 qu’on a créé à Rambouillet en 76. Le château de Rambouillet, c’est un très beau château, architecturalement pas très beau, parce qu’il a été abîmé par son architecte sous l’empire. Napoléon avait confié les travaux du château à un architecte qui avait été un blessé, au cours d’un des attentats contre lui. Bon c’était très bien du point de vue méritoire etc, enfin la blessure dans l’attentat ne confère pas l’art de l’architecture, enfin … (rire). Ce qui fait qu’on l’a à moitié démoli. Mais, il a un très grand parc, et il est fermé de murs, entièrement. Donc on peut protéger vis à vis de l’extérieur. Alors c’était les chocs pétroliers, la question était de savoir : est-ce que pour nous défendre allons-nous renoncer au libre échange et allons-nous fermer nos frontières ? C’est une vraie question, il fallait une réponse commune … il fallait une réponse commune, parce que si un pays faisait une chose, il créait des problèmes pour les autres. Alors ça intéressait qui à l’époque ? Ça intéressait les européens, allemands français et britanniques, ça intéressait les américains du nord, des Etats-unis, et ça intéressait le Japon. Ca faisait cinq personnes, donc cinq chefs d’État, avec chacun un accompagnateur qui était en général son ministre des affaires étrangères ou son principal collaborateur. Et on se réunissait dans la salle à manger qui était en bas dans le château de Versailles, de Rambouillet, et où les jours de chasse les gens changeaient de vêtements, laissaient leurs bottes, etc. Il y a eu des réactions négatives, d’abord il y a des pays qui ont été furieux de ne pas être invités, notamment les italiens. Il y avait à l’époque un président italien, vous savez ils ont un système où il y a un Président de la République et un premier ministre. Et le Président de la République a pris ça très mal, il s’est agité, etc, a menacé de quitter l’Europe, ou je ne sais quoi. Bon, du point de vue de l’importance économique, ce n’était pas nécessaire – point de vue de l’atmosphère politique, c’était souhaitable – donc on a invité les Italiens, donc ça faisait 6. Puis l’année suivante, parce qu’on s’est dit on va faire ça tous les ans. L’américain a dit il y a un japonais, cinq européens, et un américain, du continent américain quand même qui est important, etc, c’est pas beaucoup. Donc, on a décidé à ce moment-là d’inviter le Canada, on l’a joint au groupe, et c’est ce qui est devenu le groupe des 7 qui continuent à se réunir, mais qui malheureusement, ne produit pas tout à fait les résultats que je souhaitais. Parce qu’au lieu que ce soit une conférence réduite en tête-à-tête, hors de la surveillance médiatique, il y a 300-400 journalistes qui assistent à la réunion, on dit les choses qu’il faut pour plaire à son opinion publique, ainsi de suite. Et donc malheureusement c’est moins efficace. Mais quand vous me voyez annoncer dans la presse, ou dans les médias, la réunion du G7. C’est la réunion qui est tenue à Rambouillet, et qui avait pour objet d’établir un lien direct comme le disait Eric Roussel avec les autres dirigeants du monde.

Eric Roussel :  c’est par ces liens directs, notamment avec Helmut Schmidt que le projet européen a pu avoir sous votre présidence un redémarrage très remarqué.

Valéry Giscard d’Estaing :  il faut se rendre compte que cette présidence française a été un âge d’or de la coopération franco-allemande. Un âge d’or qui ne s’est pas reproduit depuis. Imaginez, d’abord on s’était fait la guerre, moi j’étais à l’armée à la fin de la guerre, comme vous nous le racontez, vous auriez pu rajouter 2 ou 3 pages (rire). A mon avis enfin bon… Mais, ma première activité militaire consistait à tirer des coups de canon sur les villages allemands. J’étais dans un char qui s’appelait un tank destroyer qui étaient des chars qui avaient pour objet de détruire les chars adverses. Et pour détruire les chars adverses, évidemment il faut tirer avec des canons puissants, et ainsi de suite. Donc, j’ai vu l’Allemagne dans la lunette d’un canon de char destroyer,  et Helmut qui était un peu plus âgé que moi, qui avait 3-4 ans de plus que moi, était dans la DCA allemande (contre avions). Et son unité est allée jusqu’à Moscou, et si un jour certains d’entre vous vont à Moscou pour une visite amicale, vous verrez qu’avant d’arriver à Moscou, en arrivant de l’aéroport, il y a un monument sur la droite qui est l’avancée maxima de l’armée allemande pendant la guerre, la dernière guerre. Eh bien Helmut Schmidt était là, parce que c’était une unité de défense contre avions qu’on avait amené jusqu’aux portes de Moscou. Donc, des passés… très éloignés. Ce qu’il s’est passé, c’est qu’on avait deux chances, en fait. La première chance, nous avons accédé aux mêmes fonctions au même moment, c’est-à-dire que nous avons été ministre des finances au même moment, lui en Allemagne et moi en France. Et que nous avons été élus, lui chancelier, et moi Président de la République le même mois. Lui en Allemagne et moi en France. C’est évidemment une chance extraordinaire, et qui avait créé entre nous une sorte de facilité relationnelle, et ainsi de suite. Et il était SPD, donc socialiste,  j’étais libéral, mais un socialiste à l’esprit ouvert et un libéral à l’esprit ouvert arrivent à avoir des conversations, des projets, des discussions. Donc nous nous entendions très bien. Et vous devriez, à un moment où on parle un peu d’Europe, à l’heure actuelle, hélas, dans des thèmes souvent négatifs, voir que ce que nous avons fait, c’est-à-dire la monnaie européenne est approuvée dans tous les pays d’europe, avec une majorité qui va de 60 à 80%. Et qu’il n’y a aucun pays dont la population utilise l’euro qui veuille renoncer à l’euro, aucune. Donc, il y avait un mouvement, un élan, si l’on peut dire, constructif, fondé sur les rapports franco-allemands, dans lequel le mérite politique revenait quand même beaucoup à l’Allemagne. Parce que eux abandonnaient une monnaie forte, et nous nous abandonnions une monnaie faible, ce qui est naturellement plus facile. Et depuis, jusqu’au dernières époques, ça a été un des fondements de l’unité européenne. Alors il y a un détail, enfin on peut le dire ici, je pense … c’est très libre.

Etienne De Montety : ça ne sortira pas de cette salle …

Valéry Giscard d’Estaing : oui … un détail historique, curieux, important… C’est que Helmut Schmidt avait dans son ascendance, une ascendance juive. Et il habitait l’Allemagne, il avait été dans l’armée allemande où on était extraordinairement hostiles, à des éléments de cette nature. Alors son père, car c’est son père qui était le fils d’un armateur juif de Hambourg. Son père avait fait la guerre, il était médecin, pas médecin, chef dans un hôpital à Hambourg, et il mourait de peur qu’on le reconnaisse, et que d’une manière ou d’une autre, il soit maltraité. Il a réussi à passer inaperçu, et son fils Helmut est devenu chancelier, et personne en Allemagne ne connaissait ses origines. Et bizarrement quand je suis rentré d’un voyage officiel en allemagne, et qu’il m’a attendu à l’aéroport, il m’a dit voilà j’ai quelque chose à vous dire, et il m’a raconté cette histoire. Pourquoi ? Je ne sais pas, mais ça scellait une amitié très forte.

Conclusion

Etienne De Montety : Monsieur le Président on vous écouterait des heures, mais malheureusement le temps imparti pour notre réunion est terminé. Marcel Gauchet, le grand philosophe, historien que vous connaissez, doit prendre la parole ici, et donc je veux, au nom de la salle, adresser nos plus vifs remerciements pour cette discussion autour du livre d’Eric Roussel, merci monsieur le Président. Et pour vous lecteurs, je vous donne rendez-vous autour d’Eric Roussel et de son livre à la préfecture de l’autre côté de l’avenue de Paris, merci beaucoup.

biographie Valéry Giscard d'Estaing

Pour découvrir la biographie d’Eric Roussel à propos de Valery Giscard d’Estaing : https://livre.fnac.com/a12362219/Eric-Roussel-Valery-Giscard-d-Estaing

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