- Quelle est votre formation Bertrand ?
Bertrand Edl : Ma formation de base est assez classique : Bac C, Prépa HEC, école de commerce… J’ai quitté mon Alsace natale, à 20 ans, pour faire l’Ecole supérieure de gestion (Paris School of Business) d’où je suis sorti diplômé en 1996. J’ai alors commencé ma carrière dans les métiers de la distribution.
Par la suite, j’ai repris une formation en 2004 en cours du soir pendant deux ans, j’ai obtenu un DESS de marketing en 2006 à l’IAE de Paris et j’ai orienté ma carrière vers des fonctions marketing.
En 2014, je dirigeais l’offre textile d’Intermarché et j’ai fait le programme Global Fashion Management executive MBA à l’institut français de la mode (formation continue). J’ai toujours trouvé beaucoup de plaisir à reprendre mes études et je crois que c’est nécessaire pour devenir plus performant et développer de nouvelles compétences. Il s’agissait pour moi de relever ces défis pour être le mieux formé possible aux nouvelles méthodes, aux nouvelles idées managériales et de rencontrer d’autres professionnels issus d’autres secteurs d’activité pour travailler avec eux sur des études de cas.
Enfin en 2017, j’ai repris une formation de trois mois pour comprendre et assimiler les bonnes pratiques du e-commerce et pouvoir travailler sur le changement digital dans la distribution.
- Parlez-nous de votre expérience professionnelle la plus marquante ?
Bertrand Edl : Mon expérience la plus marquante était sans doute la direction textile d’Intermarché pendant 6 ans. Il s’agissait de construire une politique commerciale globale sur l’ensemble des familles textiles et de revoir complétement la façon dont les catégories textiles étaient travaillées dans l’enseigne : les collections prêt-à-porter et chaussures, les gammes permanentes en sous-vêtement, collants, chaussettes, linge de maison et puériculture.
J’ai réussi à mobiliser des moyens humains et financiers et à la tête d’une équipe de plus 60 personnes nous avons développé le chiffre d’affaires de l’enseigne. Nous avons pris des parts de marché alors que l’enseigne était structurellement à la traîne sur ces familles de produits qui étaient avant tout de la marque de distributeur.
C’était une fonction globale et j’ai eu l’occasion d’activer l’ensemble des leviers à notre disposition pour augmenter les performances de l’enseigne : le lifting de la marque propre, le développement produits et innovation, positionnement de style et d’image, la mise en place du category management pour gérer notre offre, la mise en œuvre d’un service merchandising spécialisé et d’un service d’accompagnement terrain pour former les magasins … Et le tout avec une plus grande agressivité au niveau des prix, tout en augmentant la rentabilité de nos gammes pour le magasin ! Il s’agissait d’un très grand changement mais la dynamique collective et la qualité des équipes nous ont permis de mettre en place ce projet ambitieux.
- Avez-vous fait des rencontres qui vous ont marquées ?
Bertrand Edl : Bien sûr, j’ai fait de nombreuses rencontres enrichissantes sur le plan professionnel comme sur le plan humain. J’ai commencé ma carrière dans le hard discount allemand, dans un univers extrêmement stressant, exigeant et dur humainement. Mais cette rugosité dans les rapports humains m’a formé le caractère.
Dans ma carrière, j’ai eu la chance d’avoir un accès direct à certains des dirigeants d’enseigne ce qui m’a permis de comprendre rapidement les enjeux du secteur d’activité. J’ai également eu des mentors dont la personnalité et le talent m’ont influencé et que je continue à fréquenter des années plu tard. Ces personnes m’ont aidé à développer mes compétences et à mieux analyser l’environnement dans lequel j’évoluais.
Je crois que les rencontres sont un moteur dans ma carrière. J’ai choisi essentiellement des projets de construction, de changement et des gens avec qui j’avais envie de travailler. Mes supérieurs mais aussi mes collaborateurs qui m’ont beaucoup appris dans des domaines très différents et m’ont permis d’améliorer mes compétences de management ! L’entreprise c’est avant tout une aventure humaine et j’ai toujours eu accès au top management ce qui a rendu cela encore plus instructif !
- Parlez-nous de votre premier emploi chez Lidl ?
Bertrand Edl : Comme je vous l’ai dit, Lidl était mon premier emploi dans la distribution. En 1997, le hard discount était un milieu extrêmement exigeant et difficile sur le plan humain. C’était la performance avant tout qui dirigeait l’entreprise et il n’y a pas de place pour les états d’âme. C’était une excellente école de formation. J’ai directement été catapulté à un poste d’acheteur fruit et légumes, fleurs & plantes et conserves au niveau national. J’y ai évidemment appris la négociation musclée et le rapport de force, mais j’ai surtout appris à prendre et à assumer des décisions. Tous les matins, vous entrez dans l’arène pour obtenir les produits, les quantités, le prix, la qualité. Vous avez peu de temps, ça va vite, c’est comme une salle de marché et il faut se positionner et surtout assumer ses décisions. C’était une excellente école de la distribution également puisque tout était centralisé dans nos bureaux et l’acheteur avait la responsabilité de sa gamme, y compris dans la planification et l’approvisionnement de l’ensemble des entrepôts français : il décide des volumes, du fournisseur, du prix… Enfin, tout se passait alors à une échelle internationale et je travaillais beaucoup avec la maison mère en Allemagne. Les rapports étaient directs et autoritaires, mais je suis germanophone et germanophile, j’ai fait une partie de mes études à Berlin, et c’est toujours intéressant d’être confronté à d’autres cultures.
- 23 ans dans la grande distribution, donc…
Bertrand Edl : Oui, mais j’ai changé très régulièrement de fonction et même d’entreprise. On m’a toujours proposé des créations de postes, de service, des conduites du changement et j’avoue que je ne me suis jamais ennuyé étant donné la diversité des problématiques auxquelles j’ai dû répondre dans ma carrière. J’ai travaillé dans des groupes très intégrés comme Lidl mais également dans des groupes d’indépendants (Leclerc, Système U et Intermarché) et les approches y sont très différentes. Ces 23 ans, je ne les ai pas vus passer !
- Qu’est-ce qui vous attire dans la GMS ?
Bertrand Edl : Ce qui m’a plu, c’est l’opportunité que j’ai eue de diriger directement mon service, de prendre des décisions dont les répercussions financières, de business ou d’image étaient importantes. J’aime les responsabilités, les enjeux, le rythme, la diversité et les gens que j’ai rencontrés dans la GMS ! On ne s’ennuie jamais, les échéances sont toujours courtes et on travaille beaucoup sous pression avec une vraie culture du résultat. C’est passionnant !
De plus, les enjeux sociétaux sont majeurs. Les enseignes que j’ai fréquentées sont réputées pour leur lutte permanente pour le meilleur rapport qualité prix. Le consommateur est au centre des préoccupations et on se le dispute entre enseignes. Avec le temps, ce consommateur est devenu expert et tout cela rend notre travail encore plus exigeant.
- Quels sont vos domaines de prédilection ?
Bertrand Edl : Je crois que je suis un généraliste de la distribution, j’y ai développé une forme d’ambidextrie professionnelle qui me permet de m’adapter à toutes les situations ! J’ai fait beaucoup d’achat, de développement de produits, de construction d’offre, puis je suis passé sur des fonctions marketing stratégiques et opérationnelles.
J’ai travaillé sur des gammes de produits différentes : des produits alimentaires, du frais aux produits plus élaborés mais également des produits textiles, mode et plus créatifs. Cette diversité est à mon sens une véritable richesse professionnelle et humaine.
Enfin, j’ai eu la chance de diriger l’offre textile d’une enseigne et de manager de nombreuses équipes pluridisciplinaires. Ce rôle de manager est important pour moi, car j’aime diriger un projet et une équipe en permettant à mes collaborateurs d’augmenter leurs performances. Ce sont ces parcours et ces missions variés qui m’ont permis d’avoir une vision globale et une bonne compréhension des choses.
- Fut un temps où les GMS menaçaient les petits commerces locaux, mais aujourd’hui on parle de la mise à mal de ces même GMS ?
Bertrand Edl : Le commerce alimentaire (et autre) n’est jamais figé. Il y a toujours de nouvelles problématiques à appréhender et une enseigne statique serait condamnée à mourir. L’agilité est à la mode y compris dans la distribution qui a appris depuis longtemps à s’adapter à son environnement et aux exigences des consommateurs. Aujourd’hui, on assiste surtout à une guerre de tranchées et les enseignes doivent investir beaucoup, mais le ROI est moindre que par le passé. Le commerce a toujours été en mouvement et nous n’en avons pas fini de le voir changer de visage avec le temps.
Dans mon mémoire sur l’avenir du commerce de proximité, je me suis beaucoup intéressé à ces grands mouvements de balancier entre les commerces de centre-ville et les grands ensembles de périphérie urbaine. Certes la GMS a transformé le commerce de nos centres-villes, mais toujours dans un souci de performance pour le consommateur, de meilleur rapport qualité prix. D’ailleurs, on connaît, aujourd’hui, un retour triomphal de la proximité et des acteurs locaux, la mode n’est plus au gigantisme ou au « tout sous le même toit ».
Aujourd’hui, les enseignes doivent relever de nouveaux défis. D’abord, les crises alimentaires sont passées par là et l’émergence de la consommation bio et d’un consommateur responsable change la donne. Aujourd’hui, la notion de qualité, de « bien manger » et de filières maîtrisées sont primordiales et les enseignes qui n’ont pas pris ce chemin sont en retard.
De plus, les modèles de distribution sont contraints d’évoluer avec l’émergence du e-commerce qui impacte rapidement et durablement les habitudes de consommation.
- L’e-commerce est-il un danger pour les GMS ?
Bertrand Edl : Cette nouvelle donne peut être considérée comme un danger, mais il faut surtout l’envisager comme un formidable défi voire une opportunité. La grande distribution ou la distribution spécialisée, qui ont régné en maitre absolu ces dernières décennies, sont contraintes de se réinventer et de devenir encore meilleures. Les nouveaux entrants prennent très rapidement des parts de marché, préemptent certains marchés, baissent les prix et parlent directement avec les consommateurs…
Le e-commerce et les pure players comme Amazon ont changé la façon de consommer, notamment en ce qui concerne les biens non alimentaires. Les consommateurs veulent plus de services et surtout ils veulent passer moins de temps à faire les courses. Ce changement permet d’ailleurs au consommateur mieux informé, d’être plus exigeant sur la qualité, le prix, les délais…
Les enseignes, dans une stratégie défensive, développent leur propre site de e-commerce, et pour faciliter la vie du consommateur, elles inventent le drive et développent leurs capacités de livraison à domicile. Ceux qui ont bougé les premiers sont évidemment mieux placés pour résister aux changements de paradigme. De plus, internet est aussi une source de précieuses données pour connaître ses clients. A l’heure du big data, on passe d’un traitement de masse à un traitement personnalisé de ses clients : ses produits préférés, ses propres promotions, ses offres découvertes… Cette mine de données constitue un enjeu majeur sur le plan marketing et elles sont primordiales pour défendre ses positions, mais également pour négocier avec les industriels qui sont en demande de toutes ces données.
De plus, pour faire revenir les consommateurs, elles doivent réinventer ou plutôt réenchanter les parcours de course. Le défi est surtout énorme pour les enseignes qui ont misé sur le modèle du grand hypermarché qui ne correspond plus aux tendances de consommation actuelles. Avec le e-commerce et l’émergence des nouvelles tendances de consommation, le magasin doit redevenir un lieu de vie, une zone expérientielle où se multiplient les nouveaux services : le frais traditionnel et les produits frais en général (comme le traiteur sur place ou les fruits et légumes, par exemple) doivent donner un prétexte pour se déplacer. Les nouvelles tendances de restauration rapide, de snacking sur place ou à emporter, font que le magasin se mue davantage en un lieu de consommation immédiate. Ces tendances de recherche de plaisir et de merchandising adapté transforment les enseignes (surtout sur le non alimentaire) en un showroom qui se partage le client avec les sites internet. Les consommateurs passent de l’un à l’autre pour s’informer, comparer, se décider… Il faut sans cesse trouver de nouvelles idées, de nouvelles promotions, de nouveaux produits pour rester séduisant. L’offre peut redonner une place importante au local, au bio, au fait maison, ce qui est moins facile pour un géant du net.
De plus, rien n’est figé, les pure players sont à la recherche de surfaces de vente qui permettent de régler leur problématique du dernier kilomètre et ils peinent à trouver de nouveaux points de contact avec le consommateur. Ainsi, Amazon fait l’acquisition de Whole food aux US pour se positionner durablement sur le segment du bien manger et offrir une vitrine au géant tentaculaire. Certains distributeurs, en France comme ailleurs, sont en négociation avec des géants du net pour associer leur savoir-faire et créer de nouvelles plateformes communes d’échanges physiques et virtuels avec leurs clients respectifs.
Ces changements sont en marche et ça ne fait que commencer. Il s’agit de les embrasser le mieux possible, de s’adapter et de se développer d’après ces nouvelles règles de distribution et de consommation. Souplesse, agilité et cohérence marketing sont devenues les maitres mots dans la stratégie des enseignes…
- Quels sont vos projets d’avenir ?
Bertrand Edl : J’ai été cadre dans la distribution puis je suis passé au conseil. Actuellement je mets mon expertise marketing et achat au service des enseignes de distribution internationales (alimentaire, spécialisée, mode…) dans un cabinet de conseil spécialisé dans le retail, que j’ai rejoint il y a deux ans : http://www.retail-and-detail.fr/. Ce qui m’a d’ailleurs mené jusqu’en Russie (entre autres !) pour des missions passionnantes !
Je désire continuer à participer à ces changements dans la distribution et ces problématiques commerciales me passionnent au même titre que le management des équipes. Quel que soit le secteur d’activité, je continuerai à mettre mon savoir-faire et la vision globale des marchés sur lesquels ils évoluent au service de projets ambitieux qui nécessitent d’être réactif et créatif.
Sous quelle forme ? L’avenir le dira, mais il en va du travail comme du business. Il faut savoir s’adapter, rester souple et agile et se remettre en question pour construire sur ses acquis et développer de nouvelles compétences.
- L’Internet a évolué avec l’arrivée du web 2.0, comment les GMS doivent appréhender ce nouveau média devenu incontrôlable ?
Bertrand Edl : Ce qui tue une marque, c’est l’incohérence sur le plan marketing. Le web 2.0 est une opportunité pour créer de nouveaux points de contact avec le consommateur pour affirmer un positionnement et créer la préférence chez ses clients. Il faut affirmer ses valeurs et les défendre partout pour les asseoir dans l’esprit de ses clients. Il ne faut pas négliger la puissance de la marque et les consommateurs français sont attachés à leur distributeur. Encore une fois, là où tout était facile avant, il faut maintenant se montrer pertinent et professionnel. Les enseignes veillent au grain et elles multiplient les partenariats avec certains sites ou investissent dans les startups pour défendre leur place dans le commerce 2.0. Au final, c’est toujours le consommateur qui décide et il faut s’adapter ou périr…
Merci Bertrand Edl !
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