Interview de Michel Weber expert comptable et spécialiste en transmission d’entreprises

Interview de Michel Weber, Expert-Comptable et Commissaire aux Comptes au sein du cabinet Fiduest.

1. Monsieur Michel Weber, bonjour, pouvez-vous commencer par vous présenter ?

Michel Weber : Bonjour, je suis Expert-Comptable associé de plusieurs sociétés d’expertise comptable et de commissariat aux comptes.

Ces sociétés sont implantées entre Haguenau et Colmar (département 67 et 68) et sont en charge d’une clientèle de PME essentiellement composées de 1 à 20 salariés.

Je suis également membre fondateur de l’association GPA ALSACE GROUPEMENT DE PREVENTION AGREE qui regroupe plusieurs professions : juristes, avocats, notaires, experts-comptables, juge du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg, chambre commerciale.

J’accompagne également les entreprises en difficultés.

2. Aujourd’hui, vous êtes spécialisé en transmission d’entreprise. On entend peu parler de cette spécialité, mais est-ce que cette activité ne mériterait pas d’être mieux connue ?

Michel Weber : Quand on parle de transmission, c’est la transmission à des tiers investisseurs, ou encore la transmission à ses enfants

calculs nombre entreprises reprenables en franceLes chiffres tirés du rapport du Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique «Favoriser la transmission d’entreprise en France : diagnostic et propositions», remis le 7 juillet 2015 montrent que 60 000 entreprises par an sont mises sur le marché alors que 185 000 sont identifiées comme reprenables. De plus, seulement 30 000 sont cédées et 30 000 disparaissent.

Les PME sont les plus démunies, car malgré l’enjeu immense, elles ne disposent d’aucune information et ne sont pas accompagnées. La transmission peut sauver 750 000 emplois et créer des dizaines de milliers d’emplois indirects. Les statistiques estiment même qu’à l’horizon 2025, 700 000 entreprises devront trouver preneur.

3. Après avoir, dans la plupart des cas, dépensé beaucoup de temps, d’énergie et d’argent à faire tourner une entreprise, on peut dire que la céder est presque l’aboutissement d’une vie. Pour vous, le mot d’ordre est la préparation. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Michel Weber : Une transmission ne se prépare pas à la dernière minute.

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Souvent à l’approche de la cinquantaine, le dirigeant s’interroge sur l’avenir de son entreprise. Il faut s’interroger sur la transmission le plus tôt possible et une  approche sur 5-10 ans est parfois trop juste car parallèlement à cette réflexion de transmission, il faut aussi continuer à travailler, gérer et développer son entreprise.

Les solutions sont nombreuses :

  • Cession à un salarié
  • Cession aux enfants
  • Donation aux enfants
  • Intégration d’un capital-risqueur dans le capital

Tout cela se prépare et se réfléchit.

A partir du moment où l’on sait ce qu’on veut, on peut mettre en place un plan d’action pour atteindre les objectifs et respecter un planning dans l’avancement de cette réalisation.

Cette prise de conscience et ces choix sont bien souvent les plus difficiles pour le dirigeant qui est plus généralement préoccupé par la vie de l’entreprise de tous les jours.

Le confident, celui qui aiguille le choix du dirigeant grâce à ses connaissances techniques, juridiques, fiscales, sa connaissance de l’entreprise, son fonctionnement, ses forces et ses faiblesses, est l’Expert-Comptable.

C’est le rôle d’un homme de l’ombre, car ce travail prend beaucoup de temps et la décision qui en découle ne convient pas toujours à l’environnement du dirigeant.

4. Autour de cette activité gravitent de nombreux autres corps de métier : notaires spécialisés en affaires, avocats fiscalistes, cabinets de conseils…

Quel est le rôle de l’Expert-Comptable dans tout ça ?

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Michel Weber : L’Expert-Comptable est en quelque sorte le chef d’orchestre. Il connaît le client et possède l’expérience de vie de l’entreprise. Sa vision va au-delà de la simple analyse fiscale, il connaît les personnes et la famille qui sont, dans certains cas, à la fois les cédants et les repreneurs.

5. Comment se passe la rencontre du vendeur et de l’acheteur ?

Michel Weber : Tout d’abord, il faut gérer les égos entre l’avocat de l’un, le notaire de l’autre, les intermédiaires, les experts comptables. Trop souvent, chaque intervenant veut tirer la couverture de son côté en mettant en avant son savoir technique, ses conseils, etc. De ce fait, des situations conflictuelles naissent dans les discussions sur les prix et les justifications de certaines prises de position, que l’on soit acheteur ou vendeur.

Les conseillers n’ont pas besoin de s’apprécier, ils doivent être des facilitateurs des opérations et protéger leurs clients en les informant des risques dans les options de transmissions. Tout n’est pas chiffres, cash-flow, montage juridique, car tout commence par une forme de séduction et de mise en confiance entre l’acheteur et le vendeur qui s’opère au-delà de la notion de prix.  La discussion du prix, qui est certes un élément fondamental, ne doit pas être un phénomène bloquant dans la mesure où je pars du principe que mon acquéreur dispose des moyens pour réaliser l’acquisition. Il ne s’agit pas d’accepter un prix mais d’en expliquer le pourquoi d’une offre minorée sur un prix  ou encore proposer une offre de prix majorée du fait de la concurrence et de l’opportunité  sur la cible à acquérir

Le seul objectif n’est-il pas que l’acheteur et le vendeur y trouvent, ce dans un deal équitable  pour chacun,  avec des concessions réciproques acceptable. C’est le seul objectif que de nombreux conseils perdent de vue. En effet, il faut de la pédagogie pour expliciter les choix d’une transaction à l’une ou l’autre des parties.

Concernant le prix, lorsque celui-ci est estimé trop élevé  je recommande  de ne pas faire d’offre de prix plutôt que de faire une offre trop basse, celle-ci étant jugée bien souvent comme vexatoire par un vendeur. On laisse passer un peu de temps et, souvent, le vendeur se représente avec un prix de vente revu à la baisse.

6. Parlons de la transmission au sein de la famille. J’imagine que de nombreux chefs d’entreprises souhaitent “léguer” à leurs enfants leur joyau entrepreneurial. Qu’est-ce que cela implique ? Existe-t-il divers montages permettant d’en réduire le coût ?

Michel Weber : Transmettre ne veut pas forcément dire donner, mais peut aussi dire vendre à ses enfants.

Les arbitrages sont nombreux : mise en place d’un pacte Dutreil, problématique de la gouvernance, protection de l’épouse, démembrement de titres nue-propriété, valorisation de la société, etc.

Quand on annonce le coût du crash test fiscal dans le cas où rien n’est préparé et organisé, la préparation à la transmission devient subitement une priorité.

7. Lorsqu’un dirigeant envisage de céder à un ou des descendant(s), y a-t-il des cas dans lesquels vous le déconseillez ?

Michel Weber : A chaque dirigeant, chaque entreprise, sa solution. Il n’y a aucune règle et nous agissons sur la base d’un cahier des charges avec les impératifs que l’on nous élaborons ensemble avec notre client, le tout dans un environnement avec des contraintes fiscales.

Les solutions se trouvent à partir du moment où l’on sait où l’on veut aller, à quelle vitesse et c’est bien en amont que notre mission de sensibilisation commence.

Il y a l‘entreprise, sa pérennité, mais aussi l’aspect successoral d’une cession avec l’organisation de la transmission de l’ entreprise, mais aussi le produit de cession en argent   et en  biens à son épouse et ses enfants.

8. Les cessions ne sont pas toujours effectuées à l’intérieur du cercle familial. Aujourd’hui, reprendre une entreprise permet de faire ce que vous appelez de la “croissance externe”. Quels sont les bénéfices d’une telle stratégie de croissance ?

Michel Weber : Il faut anticiper l’avenir, nos métiers changent et notre manière de travailler aussi, il faut en être conscient.

Acquérir une entreprise, c’est acquérir bien souvent de nouvelles compétences, ou apporter des compétences, gagner des parts de marchés et de la profitabilité pour le groupe par la création de synergie de compétences. C’est la croissance externe.

9. Vous nous dites que certains de vos clients sont étonnés de la facilité avec laquelle votre dossier leur permet d’obtenir leur financement. Est-ce dû à la qualité de vos partenaires bancaires ? A la qualité de votre travail ? Les deux ?

Michel Weber : C’est un travail d’équipe entre le dirigeant et son conseiller Expert-Comptable.

Quand on fabrique un dossier pour un organisme bancaire, on doit connaître l’approche du banquier et les contraintes du banquier.

Si on décide que ce n’est pas le moment, on travaille avec le dirigeant, on dresse la liste des faiblesses de l’Entreprise, on en améliore le fonctionnement et la profitabilité avant de vouloir se positionner en vendeur.

10. Pour terminer, il y a beaucoup plus d’offres (de cédants) que de demandes (acquéreurs). Entreprendre fait-il peur aujourd’hui ?

Michel Weber : Je pense que le business est difficile et être chef d’entreprise, c’est être un bon manager, un bon gestionnaire, un bon commercial et un bon technicien. Il en faut des qualités pour créer ou acheter avec les risques financiers qui y sont associés, pour espérer vendre à un tiers ou transmettre un outil de travail à sa succession qui se doit d’être, dans ce cas, à la hauteur de la tâche.

A côté de cela, on subit de plein fouet le papy-boom avec beaucoup de départs en retraite et une population active de moins en moins élevée.

Le marché de la TPE est le plus complexe. On cède, on achète de la rentabilité et les artisans d’aujourd’hui ne gagnent bien souvent plus assez pour valoriser leur savoir-faire et donc trouver un repreneur.

11. Ah, une dernière question : je vois que votre entreprise d’expertise comptable, FIDUEST, est sponsor du club de rugby féminin d’Illkirch, le sport c’est quelque chose qui compte pour vous ?

Nous soutenons le Rugby Club d’Illkirch et nous envisageons aussi de sponsoriser un sportif alsacien.

Nous encourageons les salariés à participer à diverses manifestations comme les courses de Strasbourg, Ekiden ou encore à des afterworks. Nos dernières activités étaient une soirée dans un parc de loisirs indoor ou encore une journée brainstorming dans une yourte à Breitenbach.

Je sais que nos équipes apprécient ces moments hors du contexte professionnel, où se mêlent activités sportives et intellectuelles. Tout le monde y trouve du plaisir et aime se retrouver ensemble en dehors du travail. Je constate  que le lendemain, la cohésion d’équipe est renforcée, car travailler en entreprise, c’est travailler en équipe.

12. Mr Weber, la crise sanitaire que traverse le pays impacte fortement les entreprises. Quelle est votre analyse là-dessus ? Avez-vous, en tant qu’expert-comptable, une visibilité sur l’avenir financier et économique des PME et PMI françaises ?

Monsieur Michel Weber expert comptable : Il est clair que le monde de l’entreprise est en attente d’une reprise de l’activité. Cela ne sera possible, évidemment, qu’avec la reprise de la consommation des Français. Aujourd’hui, on a quand même réussi à éviter le pire, notamment grâce aux aides de l’Etat, mais aussi des différentes régions. On parle, par exemple, des emprunts PGE, des fonds de solidarité, et de toutes les autres mesures de soutien. Mais malgré toutes les aides que je viens de citer, on ne pourra échapper à un après-Covid où il y aura forcément moins d’entreprises en France, que ce soit à cause des défaillances ou de l’endettement beaucoup plus important durant cette crise sanitaire. Ces dettes, il va falloir les rembourser. N’oublions pas que la pandémie et la crise économique ont eu un impact considérable sur le moral des dirigeants d’entreprises, mais aussi des salariés… Je le répète, on ne pourra s’en sortir véritablement que si la consommation reprend.

13. Pensez-vous également que cette crise sanitaire aura, à l’avenir, un impact sur les transmissions d’entreprise ?

M. Weber : Il y aura forcément un impact, je dirais sur une, deux, voire trois années. En conséquence, les valorisations des fonds de commerce et, de fait, des titres de sociétés, seront impactés. Le seul critère qui subsistera sera la rentabilité. On en revient aux basiques. La rentabilité, qui définit la capacité de l’entreprise à générer du profit et, donc, à rembourser ses emprunts d’acquisition, sera de prime importance. Cela dit, je pense que de nombreuses entreprises ne seront pas en mesure de faire face aux échéances de l’emprunt PGE notamment, en plus de leur endettement. La seule solution sera alors d’échelonner sur la durée, pourquoi pas 10 ans ! Il en va de même pour les autres emprunts. Il n’y aura probablement pas d’autre solution que l’échelonnement : un emprunt sur 5 ans passera à 7 ans, 7 ans à 10 ans, 10 ans sur 12 ans, et ainsi de suite. A titre personnel, je ne vois pas d’autre solution.

Par ailleurs, la fragilité financière des entreprises conduira certainement à des regroupements et des cessions d’entreprise, et probablement pas aux mêmes prix pratiqués avant la pandémie de la Covid-19. Au risque de me répéter, je rappelle qu’il y aura bel et bien un après-Covid, avec toutes les conséquences que cela implique. La question qui reste en suspens est celle des offres aux particuliers, notamment le HCR, mais aussi celle de savoir si la consommation sera de retour comme avant.

14. Pour terminer, auriez-vous un conseil à donner aux chefs d’entreprise qui souhaiteraient se lancer dans un tel contexte ?

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Michel Weber : Cela peut paraître paradoxal, mais c’est justement dans ces moments de reprise économique qu’il faut se lancer. C’est le moment de se positionner sur des cibles d’acquisition qu’on ne pouvait pas forcément se permettre avant la crise en raison des prix élevés. Aujourd’hui, on prédit que les prix des transactions seront bas pendant un moment. Il faut en profiter. Mais attention, il faudra se montrer encore plus rigoureux, sérieux et visionnaire pour réussir à gérer une entreprise durant cette phase trouble. A mon sens, il n’y a pas plus beau challenge pour un entrepreneur.

Merci Michel.

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