Interview de Thierry Logre, directeur des laboratoires Phyt’s. Cet homme de convictions revient sur son parcours, son métier, ses passions et son amour pour la biodiversité.

  1.   Bonjour M. Logre, pouvez-vous commencer par vous présenter ?

Thierry Logre : Bonjour, je suis Thierry Logre. Normand d’origine, j’ai vécu dans cette région pendant toute mon enfance et j’y ai fait mes études que j’ai terminées à Brest dans le domaine de l’agroalimentaire. Je suis marié et j’ai deux enfants qui sont en charge de l’exportation des produits fabriqués par le groupe Jérodia à travers une structure indépendante.

Au cours de ma vie, j’ai eu diverses expériences. Très jeune, je suis passé par le commercial pur et dur en étant, pendant quelques mois, représentant, puis inspecteur des ventes dans la grande distribution. Très vite, je suis entré dans le marketing d’aliments de santé, ce qui était lié à ma formation. Ensuite, je me suis retrouvé à la tête de la direction marketing et commerciale d’un laboratoire pharmaceutique spécialisé dans la phytothérapie.

J’ai été, par la suite, débauché par le leader de la pharmacie en France pour lequel j’ai créé deux laboratoires, toujours dans les médecines alternatives (des médicaments homéopathiques jusqu’aux cosmétiques, compléments alimentaires et même dispositifs médicaux). A l’issue de ces deux expériences de direction de laboratoires qui ont duré chacune 5 ans, j’ai fondé mes propres activités dans le domaine du bio avec la conviction que ce dernier pouvait, par le biais des compléments nutritionnels, apporter des réponses à bien des problèmes de santé. A mon sens, 80% de ce que prescrivent les médecins généralistes pourraient être remplacés par des produits naturels et bio, ce qui éviterait bon nombre d’effets secondaires et répondrait à l’essentiel des problèmes. Bien entendu, je ne remets pas en cause l’intérêt des médicaments sur des pathologies lourdes. C’est donc sur cette conviction que nous avons créé l’Institut Jérodia qui fabrique des compléments alimentaires bio prescrits par les naturopathes.

Nous nous sommes développés dans le domaine des cosmétiques, avec Phyt’s. Les compléments alimentaires sont alors devenus extrêmement secondaires dans notre activité. La cosmétique a pris un essor phénoménal, puisque nous sommes devenus un leader du marché des cosmétiques bio en France, mais aussi dans d’autres pays comme le Japon et la Corée du Sud.

  1.   La nature tient une place importante dans votre vie, outre votre activité professionnelle, il me semble que vous soutenez la cause animale, êtes un ancien adhérent du WWF et êtes champion de France de course d’orientation. Vous nous expliquez ce rapport à la nature ?

Thierry Logre : Effectivement, j’ai toujours été concerné par la nature. Je me suis toujours senti particulièrement bien dans des univers naturels. Je n’ai jamais été un véritable citadin.

Il est vrai que j’ai créé un club WWF, vers l’âge de 14 ans, à la MJC de Lisieux. A l’époque la volonté derrière ce geste était d’aider à la protection des oiseaux. Pour ce faire, on calculait le nombre de nids, on recensait les nidifications et on aidait à favoriser cette nidification par la pose de nichoir, en nourrissant les oiseaux pendant l’hiver, en créant un jardin bio sur un terrain qui nous a été prêté, etc. En résumé, j’animais et je développais, avec toutes les personnes qui voulaient bien me suivre, un club WWF.

Scolarisé dans un lycée à Lisieux j’y ai découvert un sport nature mais aussi très exigent physiquement : la Course d’Orientation. Ce lycée se trouve avoir été à la base du deuxième club civil français de course d’orientation, le premier étant situé à Epernay. Club civil, car, à l’époque c’était un sport très développé chez les militaires, même obligatoire dans l’armée de terre. Etant un adepte de cross et de course à pied, je me suis vite passionné pour ce sport. C’est un sport qui m’a absolument enthousiasmé pendant toute ma jeunesse, car il s’agit de courir contre la montre, en course individuelle, en trouvant des balises en milieu naturel. Comme seuls outils, nous n’avions qu’une carte très précise adaptée à ce sport, une boussole et nos jambes pour courir, sans oublier notre tête.

Au début, on apprend à lire la carte et à trouver son chemin, puis avec le temps et la pratique on ne s’arrête pas de courir tout en lisant la carte, mais en vous aidant du relief, des courbes de niveau, etc. Dans ce sport, on dit souvent que le plus court chemin n’est pas la ligne droite. Il faut donc trouver le chemin le plus rapide pour rallier les différentes balises, jusqu’à l’arrivée. Les courses senior élite se déroulent sur 1h30 environ durant lesquelles vous courrez sans vous arrêter, contre la montre.

Cela nécessite beaucoup d’entraînement, car physiquement, c’est assez rude. C’était donc une de mes grandes passions lorsque j’étais plus jeune et il se trouve qu’à 15 ans, j’ai intégré l’équipe de France. J’ai donc été convoqué aux « 5 jours de Suisse » pour une course qui allait déterminer le meilleur français pour partir en Hongrie. Il se trouve que c’était moi. N’ayant pas de passeport, j’ai dû en faire un en urgence… et tout s’est enchaîné : j’ai fait mes premiers Championnats du monde en 1977 en Norvège et en 1978 en Finlande. J’ai participé à plusieurs compétitions mondiales civiles, mais également lors de mon service militaire durant le Championnat du monde militaire au Brésil en 1982. J’ai également participé à plusieurs Championnats du monde universitaires.

  1.   Donc déjà, vers l’âge de 14 ans, vous aviez un engagement fort en faveur de la biodiversité et de la nature ?

Thierry Logre : Tout à fait. J’étais déjà convaincu, à cette époque, que je serais entrepreneur dans le domaine des plantes, sélectionnées pour leurs bienfaits, et transformées exclusivement par des moyens naturels. Je me voyais déjà dans le domaine du bio.

  1.   La marque revendique du 100% made in France au niveau de la conception, de la fabrication. Au niveau du bio, malgré un essor spectaculaire de ce type d’agriculture en France, je crois savoir que d’autres pays sont mieux placés (l’Allemagne, par exemple). Est-ce que vous arrivez à trouver tous vos produits via l’agriculture bio française ?

Thierry Logre : Forcément la réponse est non, pour la simple et bonne raison qu’en cosmétique, vous avez une pléthore d’ingrédients, contrairement au secteur alimentaire, par exemple. De plus, on ne reprend pas forcément les mêmes composants pour la fabrication des divers produits. Ils sont formulés différemment. Ce qui veut dire que pour fabriquer tous nos cosmétiques, en sachant que chez Phyt’s, nous fabriquons toutes les galéniques (c’est-à-dire toutes les formes de cosmétiques) et aussi le maquillage, le nombre de matières premières est colossal. Bien évidemment, il y en a un certain nombre qui est issu de plantes qui ne pousseront jamais en France, en zone tempérée. C’est la première difficulté.

Nous sommes toujours en recherche de plus de matières premières locales qui permettent de rejeter moins de CO2 pour s’approvisionner. Nous avons une responsable des phytofilières bio en charge de la validation de la qualité de ce que l’on cultive ou faisons cultiver, localement ou non. Nous travaillons beaucoup avec des producteurs locaux pour développer nos propres huiles essentielles bio.

Nous développons également nos propres cultures locales. Actuellement, nous plantons nos premiers hectares de noisetiers pour produire notre propre huile de noisettes bio. Qui dit bio dit développement de la biodiversité. De ce fait, sur ces terrains recevant les noisetiers, nous ne faisons pas de monoculture. Pour favoriser la biodiversité, nous agrémentons ces champs de haies productives composés de cassissiers, dont les feuilles sont une de nos matières premières, ou encore d’origans. L’organisation des parcelles est faite de telle sorte que l’on puisse mécaniser la récolte, avec des moissonneuses de petite taille, afin de rester économiquement rentable. Pour aller au bout du processus, des nichoirs sont installés pour faire venir mésanges et sitelles qui s’occupent de manger certains prédateurs des noisetiers, des moutons parcourent les parcelles pour tondre l’herbe et des poules s’occupent de manger certains insectes habitants la terre.

  1.   Les produits tirés du marché équitable de pays moins développés que le nôtre fait partie de l’éthique responsable et sociale de Phyt’s ?

Thierry Logre : En effet, nous y sommes absolument engagés. Comme nous cherchons à valider la qualité de la matière première (la façon dont elle est cultivée, récoltée, séchée, stockée, envoyée), nous nous engageons aussi sur des volumes et des prix, ce qui permet d’apporter à des populations en difficultés des certitudes économiques plus importantes.

  1.   J’entends dire que la cosmétique bio est en perpétuelle croissance depuis des années. Malgré tout, certains chiffres donnent cette part de marché à 3%, 4% ? Pourquoi si peu ?

Thierry Logre : Pour être franc, je n’arrive pas à trouver des statistiques fiables, parce qu’elles mélangent les cosmétiques dits naturels et les cosmétiques certifiés bio. Dans ces derniers, vous avez la fameuse norme ISO Bio créée par l’industrie cosmétique pour se protéger, il y a deux ans maintenant. De ce fait, des produits pas forcément bio contenant du parabène et des conservateurs portent pourtant cette appellation, car ils répondent à la norme ISO. Seuls certains ingrédients sont bio et mentionnés sur l’étiquette. C’est un vrai scandale qui n’attrapera pourtant pas le consommateur averti d’aujourd’hui.

Ce marché est donc composé de différents types de cosmétique : du faux bio, du bio et du naturel. Mais qu’entend-on par naturel ? Disons-le, le pétrole est naturel. Il faut donc définir cette caractéristique. C’est l’avantage de label comme Cosmébio d’avoir défini le mot « naturel », en plus d’une teneur en produit bio et des qualités bio à l’intérieur du produit.

  1.   Il existe un label pour la cosmétique Bio, Cosmebio, et vous faites partie des laboratoires à l’origine de ce label. Comment s’est déroulée la création de ce label ?

Thierry Logre : La création de ce label a été à la fois difficile pour des questions techniques et de mise au point, mais à la fois facile car nous avions de réelles convictions. Nous étions donc neuf petits laboratoires et nous avons créé une charte et un cahier des charges définissant la cosmétique bio. Dans ce cahier des charges, pour être certifiés, nous avons été guidés par trois points essentiels à nos yeux :

  • Favoriser et développer l’agriculture bio ;
  • Informer le consommateur de la différence entre les produits classiques et bio pour qu’il puisse choisir en parfaite connaissance de cause (c’est pour cela que l’on a exigé que le pourcentage de bio sur le total du produit soit mentionné sur l’étiquette, ainsi que le pourcentage de bio dans la fraction sèche et le pourcentage d’ingrédients naturels en définissant ce terme). Tout cela en faisant référence à un cahier des charges que nous avions déposé au ministère de l’Industrie, visible sur internet ;
  • Contrôler par un organisme extérieur, agréé lui-même par l’Etat. C’est pour cela que nous avons imposé à tout adhérent à Cosmébio d’adhérer soit à Qualité France ou EcoCert ou à l’organisme créé par Cosmébio. De ce fait, il doit faire contrôler tous ses produits annuellement.

Aujourd’hui, plus de 500 entreprises ont adhéré au label Cosmébio. C’est d’ailleurs la plus grande association de cosmétique bio au monde.

  1.   Phyt’s aujourd’hui ce n’est pas que le marché français, c’est aussi l’international. Si on résume : R&D, création d’un label français, export et développement à l’international. Vous avez quasiment tout fait. Que reste-t-il comme projet pour Phyt’s ? De quoi sera fait l’avenir ?

Thierry Logre : Vous savez, on n’a jamais tout fait, c’est un éternel recommencement. Quand vous êtes un entrepreneur dans l’âme, c’est développer et entreprendre qui vous plaît. Actuellement, nous investissons dans des fermes en France dans le but de développer l’agriculture bio, de tester de nouvelles cultures, d’améliorer l’état du savoir agricole pour réussir à être productif, économiquement viable et qualitativement respectueux de l’environnement. Cela passe avant tout par une stimulation de la biodiversité. C’est la raison pour laquelle, nous développons des cultures et des initiatives, en France, en achetant des fermes.

Concrètement, les agriculteurs restent indépendants et nous leur confions des travaux agricoles en sous-traitance après avoir défini les process, les protocoles, parfois avec leur collaboration. Ainsi, ils sont libres de poursuivre leur activité de base.

  1.   Peut-on parler rapidement de votre passion pour les chevaux ?

Thierry Logre : Dans le collège de Lisieux où j’étais scolarisé, il se trouve que j’ai eu la possibilité d’apprendre à monter à cheval et de faire mes premières compétitions. J’ai dû arrêter l’équitation à cause de l’entraînement à la course d’orientation qui prenait la majeure partie de mon temps libre et parce que mes parents n’avaient pas les moyens de me payer un cheval.

Bien des années plus tard, il s’est trouvé que mon beau-père fut Raoul Ostheimer, un des plus grands éleveurs et entraîneurs de trotteurs. C’est notamment lui qui a fait naître et entraîné Ourasi ou sa soeur Vourasie. Je m’entendais très bien avec lui et lorsqu’il est décédé, j’ai pris la direction de l’écurie. Il y a une dizaine d’années, lorsque j’ai été convaincu d’avoir les moyens de faire les choses bien, nous avons relancé l’élevage et l’entraînement.

  1.   Pour terminer, avec l’état de la planète : dérèglement climatique, pollution… tout semble plutôt pessimiste. Avez-vous un mot d’espoir pour nous ?

Thierry Logre : Je suis convaincu que l’homme, s’il ne veut pas purement et simplement disparaître un jour, doit protéger le seul espace de vie qui est le sien. Ce n’est pas la bionique, le développement de l’intelligence artificielle et tout ce que l’on peut imaginer d’autre qui lui permettra de totalement quitter ce qu’il est, c’est-à-dire un être vivant en symbiose avec d’autres êtres vivants au sein d’une biodiversité absolument indispensable. Je pense aussi que la prise de conscience des consommateurs à dimension planétaire est en train d’amener le système de production à respecter toujours plus l’environnement. Je suis donc assez positif.

Merci Thierry Logre.

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